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12 novembre 2013 2 12 /11 /novembre /2013 10:08

A propos du temps et de la Relativité Générale

 

L. Smolin a visé juste lorsqu’il a préciséles raisons profondes qui conduisent à éradiquer le flux du temps en physique : « Cela est certainement surprenant de l’affirmer mais l’idée que le temps soit considéré comme réel requière de faire une entorse radicale au paradigme standard de la physique. Ceci est la conséquence du développement de la conception, des propriétés de la nature, par les physiciens, depuis 400 ans. Toujours, depuis R. Descartes au 17e siècle, le temps a été représenté comme s’il était juste une dimension de l’espace. Ceci a culminé avec la conception de ‘l’univers comme un tout’, de la relativité générale, dans lequel le moment présent n’a pas de sens – tout ce qui existe c’est, tout d’un coup, la totalité de l’histoire de l’univers, sans temporalité (The whole history of the universe at once, timelessly). Quand les lois de la physique sont décrites mathématiquement, les processus causaux qui illustrent l’activité du temps sont représentés par des implications logiques intemporelles.

Mais l’univers réel a des propriétés qui ne sont pas représentables par un quelconque objet mathématique. Une de celles-ci est quil y a toujours un moment présent. Les objets mathématiques, étant intemporels, n’ont pas de moments présent, n’ont pas de futurs ni de passés. Toutefois, si on embrasse la réalité du temps et voit les lois mathématiques comme des outils plutôt que des miroirs mystiques de la nature, d’autres faits têtus, inexplicables, concernant le monde deviennent explicables… »

On ne doit pas oublier que l’éradication du temps fut un a priori intellectuel d’Albert Einstein et ce préalable philosophique (le Réalisme) l’a guidé durant toute sa cogitation jusqu’à l’acte de naissance de la Relativité Générale. En conséquence le constat de Smolin est juste : « Ceci a culminé avec la conception de ‘l’univers comme un tout’, de la relativité générale, dans lequel le moment présent n’a pas de sens – tout ce qui existe c’est, tout d’un coup, la totalité de l’histoire de l’univers, sans temporalité. »

 

L’élimination de toute temporalité qui s’impose avec l’invention de la loi de la R.G. en 1915 n’est pas une conséquence de celle-ci mais elle est le fruit de l’intemporalité postulée préalablement au nom d’une conception idéale proclamée : qu’une loi juste en physique est celle qui atteint la réalité d’une propriété au sein de la nature. A. Einstein insistait sur sa représentation d’un univers immuable et atemporel. A son époque avant 1930, cet univers avait les dimensions de notre galaxie. Après coup, E. Hubble, croyant comme lui en cette immuabilité, lui a montré que ce n’était pas vraiment ainsi. Et puis il y eut cette fameuse constante cosmologique introduite arbitrairement dans sa loi pour rétablir théoriquement cette immuabilité postulée. Par la suite il reconnaîtra que ce fut sa plus grande bêtise (confidence recueillie par Gamow) mais qui maintenant ne semble plus être une aussi importante bêtise.

Ceci étant précisé, il n’est pas question de sous-estimer le fait que la loi de la RG est une loi d’une fertilité exceptionnelle qui a conduit à des avancées remarquables de la connaissance en physique. Disons que cette loi comprend une part de vérité significative dans le sens où elle comprend ce que le sujet pensant est à même de mette en évidence grâce à ses possibilités de connaissances, mais part de vérité ne doit pas se confondre avec part de réalité. Justement c’est cette marge de progression sans fin qui offre, motive, permet, la mobilité intellectuelle du sujet pensant. On doit préciser aussi que sous sa forme globale : Rµν – ½ gµν(R - 2λ) = 8πGTµν est intraitable. Nous sommes en capacité d’extraire de la signification observable seulement lorsqu’on émet l’hypothèse que, par exemple, des critères de symétries sont pertinents (K. Schwarzchild) et donc sources de simplification de la loi globale ou encore en considérant que la densité d’énergie-matière est faible, homogène et isotrope (Robertson-Walker), ce qui autorise de notables simplifications. 

Essayons donc d’établir la bonne distance intellectuelle à l’égard de la R.G. si on veut analyser correctement où se situe dans le raisonnement d’Einstein la source (ou les sources) qui conduit à une représentation ‘réductrice’ de notre univers. Cela n’est pas simple parce que contrairement à la mécanique quantique la loi de la R.G. résulte de la cogitation d’un esprit unique avec toute la force de sa cohérence et de son unité. C’est un constat qui est largement partagé et R. Penrose en est tellement convaincu qu’il considère que c’est la mécanique quantique qui doit être corrigée pour que l’unification conduisant à la gravité quantique devienne possible.

Vouloir aménager la loi de la R.G. s’avère délicat… mais nécessaire. La réflexion de L. Smolin : « Si on voit les lois mathématiques comme des outils plutôt que des miroirs mystiques de la nature… », retient particulièrement mon attention et illustre ma proposition : ‘établir une bonne distance intellectuelle’. Cela veut dire que les mathématiques ne révèlent pas, par elles-mêmes, les lois de la nature, mais sont seulement des instruments bâtis par l’intelligence humaine qui permettent de formaliser ce qui est accessible à l’entendement humain, entendement qui n’est certainement pas immuable, et tant mieux. L’historique de la progression de la recherche d’Einstein entre 1905 et 1915 est symptomatique car sa réflexion préalable : « Les lois de la nature doivent être exprimées par des équations qui soient valables pour tous les systèmes de coordonnées, c’est-à-dire qui soient covariantes (universellement covariantes) pour des substitutions quelconques. » précédait en bonne partie les développements et la mise au point du corpus des mathématiques tensoriels.

Pointer, comme le fait Smolin, les inconvénients, les déviations, de la conception platonicienne des mathématiques, est judicieux et cette conception doit être considérée comme une source de croyances erronées quant à notre capacité à décrypter les propriétés de la nature. Cela fait plus de 2500 ans que cette croyance traverse l’humanité et donc chercher à la dépasser constitue une tâche nécessaire mais de long cours. D’autant plus que les adeptes de la conception platonicienne de l’univers ont de la ressource car, par exemple, si le théorème de K. Gödel publié en 1931 (lui-même platonicien) devrait franchement affaiblir cette conception, des physiciens théoriciens – qui me semble-t-il sont majoritaires – à l’exemple de R. Penrose, peuvent affirmer à propos de la théorie de la Relativité Générale : « Ce qui compte est que la structure mathématique est ici même, dans la Nature ; personne ne l’a imposée à la Nature, Einstein a révélé quelque chose qui était présent (sic). [ …] Il s’agit là d’un cas très pur… » et d’une façon générale : « Le concept de vérité mathématique ne se laisse pas enfermer dans le cadre d’un schéma formaliste. La vérité mathématique est quelque chose qui va au-delà du simple formalisme. Il y a quelque chose d’absolu et de « divin » dans la vérité mathématique. C’est ce dont il est question dans le platonisme mathématique. […] La vérité mathématique réelle va au-delà des constructions fabriquées par l’homme. » N’oublions pas que selon Penrose le théorème de Gödel est incontournable et sans faille mais il ne vaut que pour le formalisme mathématique et pas question que : l’incomplétude des mathématiques implique d’emblée l’incomplétude des sciences physiques.

 

En 1955 A. Einstein réitérait encore : « Pour nous, physiciens croyants, la séparation entre passé, présent et avenir, ne garde que la valeur d’une illusion, si tenace soit-elle. » Avec   cette phrase il rappelle avec force que l’évanescence de tout flux temporel est irréversible et c’est la preuve de la consistance de sa loi. Avec Smolin nous avons en communde pointer que le ‘moment présent’, ‘l’instant présent, ‘la présence’ doivent être pris en considération (bien que ce soit sur la base de préalables opposés) pour dépasser les impasses de la crise de la physique théorique de l’échelle du cosmos à celle de l’infiniment petit. Pour réaliser ce dépassement il faut procéder à un ‘geste’ théorique d’envergure qui enrichisse la relativité générale sans affaiblir toute la valeur prédictive confirmée de cette loi.

Pour ma part, je considère que la citation suivante d’Einstein : « Ce qui du point de vue physique est réel…est constitué de coïncidences spatio-temporelles. Et rien d’autres. », rend compte d’une manière concise l’endroit où les conséquences de la R.G. doivent être profondément travaillées, modifiées. En effet je considère que le sujet pensant doit être installé dans la réalité de la dynamique de la compréhension que nous avons du Monde qui, dorénavant, n’a pas de raison de se confondre avec ce que nous définissons comme étant provisoirement notre univers.

En ce qui concerne la compréhension que peut avoir L. Smolin de son ‘Moment Présent’ épiphanique, il est difficile de savoir quelles sont les modifications qu’il préconise à propos de la R.G. Sans spécifier ni plus, ni mieux, son ‘Moment Présent’, Il annonce qu’il exploite cette hypothèse dans des modèles simples de systèmes gouvernés par des lois qui sont irréversibles en temps mais desquels émergent des résultats symétriques en temps. Le fondement de sa pensée est que le temps est donné dans la Nature. Espérons qu’il puisse nous dire bientôt quelles sont les indications qui lui sont fournies par ses modèles.

Dans son article du 26/04/2013 in ‘New Scientist’

  Voir article posté, sur le blog, le 02/05/2013 : « Bienvenu au ‘Moment présent’ de L. Smolin »

Voir articles postés sur le blog le 02/11/2012 : « Synthèse : un Monde en ‘Présence’ » et le 01/01/2013 : « Un Monde en ‘Présence’ II »

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