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18 octobre 2020 7 18 /10 /octobre /2020 09:04

 

Au sommet de la montagne on découvre l’étendue océanique d’une liberté de penser peu commune.

Dans l’article-interview du journal hebdomadaire ‘Le journal du Dimanche’ du Dimanche 4 Octobre, Etienne Klein nous fait partager son approche et sa compréhension de la science avec le titre suivant : « La science est victime d’une crise de la patience. »

            Quand on lui demande : « En quoi la montagne permet-elle de penser différemment notre rapport au monde ? », il répond : « Les pères fondateurs de la mécanique quantique, dans les années 1920-1930, faisaient tous de la montagne. Le fait d’être attiré par les sommets est-il le signe d’un certain tempérament ? Je n’ai pas la réponse, mais le pari que je fais est que si l’Europe était plate comme la Beauce, il n’y aurait pas eu de physique quantique (sic). Pour penser des choses un peu radicales, il faut un paysage escarpé. Pour que la pensée ait du relief, il faut du relief. L’exploration intellectuelle a besoin de variation de régime. En altitude, quand il fait beau, on voit la Voie Lactée. Le spectacle du cosmos à l’œil nu a structuré la pensée de Grecs de l’Antiquité. Aujourd’hui, le fait d’être coupé du ciel change des choses très profondes dans notre psyché. On ne parle d’ailleurs plus de la nature mais d’environnement. C’est une sorte de bifurcation dans l’histoire de l’humanité. »

            E. Klein, exagère, mais il a le mérite de rendre compte que notre cerveau n’est pas une île et il y a de la cogitation scientifique avec, grâce, dans, une relation avec la nature. Dans cette relation avec la nature c’est le corps en mouvement qui provoque la circulation des idées, des images, des parfums, des rumeurs et des couleurs. Les pères de la physique quantique faisaient aussi beaucoup de bateau. En physique, la curiosité intellectuelle de connaître les lois de la nature peut survenir dans des situations variées. Il est vrai que si à 4000 mètres d’altitude sur le dôme des Ecrins dans les Alpes on assite au spectacle de la première lumière de l’aube avec ensuite le premier flash des rayons de soleil de l’aurore on est saisi par la puissance de l’émotion qui nous envahit parce qu’on est plus un simple spectateur, on est traversé, on est touché comme par une régénérescence et on ressent que l’on est inclus dans un tout d’une richesse sous-jacente extraordinaire. Et c’est ce sous-jacent extraordinaire qui aiguise une curiosité bien placée, une envie de savoir ce que sont ces phénomènes en interaction qui nous font comprendre que l’être humain est intimement relié à un monde qui a des modalités qui nous déterminent. Cette impression on peut la vivre avec la même intensité et la même réflexion finale, lorsque sur un voilier, de quart, la nuit, sous un ciel étoilé, le bateau est porté par les éléments naturels vers la destination établie. A cette occasion s’installe une grandiose complicité allant jusqu’à une véritable osmose que l’on ressent avec l’étendue océanique et l’étendue céleste. Grâce à cette communion, l’esprit peut atteindre une liberté de penser peu commune. Les possibilités d’éprouver un rapport intime et celui d’interdépendance avec la nature sont multiples. J’en fais régulièrement l’expérience en parcourant à vélo des paysages variés qui ont toujours un relief particulier lorsqu’ils sont conquis à la force du mollet. Comme l’exprime Klein : « Pour que la pensée ait du relief, il faut du relief. » Je partage le propos de l’auteur mais selon mon expérience, il n’y a pas que le relief topographique qui soit source de pensée avec relief, il y a aussi le relief mental et sans retenue j’inclus celui vécu par la satisfaction mentale d’une conquête physique qui à cette occasion, en soi, élève le niveau des possibles.

            A propos du constat de l’anthropocène et d’une opinion publique qui s’installe demandant que l’on fasse machine arrière et abandonner toute idée de progrès technique, lorsque le journaliste demande à E. Klein : « Est-ce votre cas ? », celui- ci répond :

            « Je défends une position médiane. La situation à laquelle nous sommes arrivés est une conséquence indirecte de la coupure galiléenne (sic). Pour Galilée, il y a la nature avec des lois que l’on peut comprendre, et puis il y a l’homme. Et l’homme est transcendant par rapport à la nature. Le christianisme, lui, décrit l’homme comme un être d’antinature dans le sens où il échappe aux lois de la nature. Il peut modifier son environnement naturel par la compréhension qu’il en a. Mais la pandémie nous a rappelé à notre socle biologique. Nous ne sommes pas simplement des corps dont la technologie pourrait augmenter les performances. Si l’homme est la seule espèce capable de connaître les lois de la nature, il y est aussi soumis (sic et re-sic). La nature rétroagit sur nous et nous devons ajuster le tir pour que notre environnement ne devienne pas invivable. » Je ne peux qu’être satisfait de ce commentaire car pour ceux qui me lisent, depuis plus de dix ans, ils ont pu mesurer à quel point je propose et défends l’idée que l’être humain est à la fois un être dans la nature et un être de la nature. Être dans la nature, c’est la position que développe progressivement l’être humain grâce au processus du développement de ses connaissances des lois de la nature. C’est une transcendance qui est en mouvement et selon moi il n’y a pas de raison qu’il y ait une fin. Être de la nature, c’est parce qu’il est impossible d’ignorer notre origine fondamentale et il n’est pas possible de prétendre que nous sommes totalement émancipés des lois originelles qui ont contribué à notre éclosion et à notre évolution. En conséquence nous sommes soumis à des déterminations naturelles. Là encore, il n’y a pas de point final, au fur et à mesure que nos connaissances des lois de la nature progressent, le socle de l’être de la nature se réduit et celui de l’être dans la nature s’accroît et se consolide. Avec ce processus le poids des déterminations naturelles reflue et l’intelligence des lois ‘objectives’ de la nature s’accroît. Les physiciens ne devraient pas ignorer ce processus car il nous dit que nous ne sommes pas de purs observateurs de la nature car elle n’est pas pure extériorité à l’être humain. C’est la raison pour laquelle je considère que le temps n’est pas donné dans la nature, comme le prétend Lee Smolin et l’a prétendu sur-naturel : Isaac Newton, mais qu’il est un propre de l’homme et cette contribution proprement humaine constitue le lien indispensable qui nous permet d’accéder à l’intelligence et à la description des lois de la nature.

            A la question : « Les scientifiques n’ont jamais été aussi présents et pourtant, parfois, on s’y perd. Pourquoi ? » E. Klein répond : « La confusion générale vient du fait qu’on n’a pas montré la distinction fondamentale entre la science et la recherche. La science est un corpus de connaissances éprouvées au cours de l’histoire des idées par des expériences, des observations, des théories qui ont validé certains résultats. Par exemple : la terre est ronde, l’atome existe, l’Univers est en expansion, les espèces évoluent. C’est la science. On n’a aucune raison de remettre en question ces résultats. La science est ce qui permet d’accéder à une certaine forme de vérité. Et puis il y a les questions qu’on se pose et auxquelles on ne sait pas répondre. C’est la recherche. »

Globalement sa définition de la science est acceptable sauf que personnellement je ne serais pas aussi tranché en ce qui concerne la relation science et vérité. Je parlerais plutôt de vérité provisoire car l’homme de science est capable de forcer le trait pour qu’une théorie perdure. Pensons par exemple, aux épicycles de Ptolémée, aux engrenages de Descartes pour justifier la chaîne de causalité et à la théorie de l’éther luminifère de Maxwell et j’en passe. La tendance de l’homme de science est de penser la nature en termes de mécanismes, de machineries, alors qu’à l’échelle quantique il est bien plus juste de penser en termes d’états probables. Il ne faut pas s’interdire de penser que cela puisse se généraliser aux autres échelles. Dans ce cas d’autres nouvelles vérités éclateront qui relativiseront les précédentes.

            A la question : « A trop vulgariser la science, la dénature-t-on ? » E. Klein confie : « Je fais de la vulgarisation depuis trente ans. Mais le Covid m’a aidé à comprendre plein de choses. De façon très naïve, j’étais persuadé qu’en connaissant la physique quantique et ses conséquences philosophiques je pouvais l’expliquer à tout le monde. J’avais l’impression que quand la transmission est faite clairement – et non pas simplement – le message émis est reçu à peu près à l’identique, sans être trop déformé… La méthode à laquelle j’ai consacré ma vie ne marche pas. » Pourquoi ? : « Parce qu’il y a des biais cognitifs, ceux par lesquels notre cerveau déforme les phrases qu’il entend, les accommode. Le cerveau a besoin non pas de connaître la vérité mais d’un certain confort psychique… »

            Personnellement, je n’ai jamais été convaincu par le projet d’une vulgarisation possible des connaissances quel que soit le domaine en question. Considérer que dans le cerveau humain, il y a des cases disponibles pour y entasser des connaissances packagées, d’une certaine façon cela m’horripile parce que cela ressemble à du mépris. Vulgarisation ! certainement pas en physique et cela n’a jamais été mon propos. Ces connaissances packagées ne sont que des connaissances académiques dégradées. Par contre faire découvrir et faire participer progressivement le processus par lequel les connaissances émergent, cela est envisageable et même souhaitable. Sur la base de l’exposé du développement des connaissances en physique, contribuer à ce que les personnes qui en ont la curiosité découvre le fonctionnement de la pensée scientifique voire se l’approprient, c’est de l’ordre du possible et c’est ce que je souhaite partager. La compréhension des lois de la nature est une aventure tellement humaine qu’aux personnes à qui je m’adresse lorsqu’elles parviennent à s’inscrire personnellement dans cette histoire, je m’en réjouis. C’est une aventure intellectuelle dont les prémisses remontent très loin dans le temps et nous sommes présentement des acteurs qui assurons cette continuité qui en même temps nous projette dans le futur grâce à de nouvelles interrogations, de nouvelles hypothèses, de nouvelles expériences et observations qui se préparent.

            A vrai dire je suis étonné qu’E. Klein comprenne cela que maintenant. En effet vers la fin de l’article, il déclare : « J’ai pensé à tort que la vulgarisation aidait les gens à comprendre les découvertes. Mais l’enjeu maintenant est de montrer comment les connaissances se sont construites dans l’histoire des idées. Car si on a tous des connaissances on ignore comment elles le sont devenues (sic). » Personnellement, pendant une dizaine d’années, en formation initiale, j’ai programmé à des étudiants de L2, L3, un cours : « Préalables philosophiques à la création scientifique. » J’ai eu de leur part des retours gratifiants.

            Dans une autre partie de l’interview, je partage l’avis de Klein : Question : « Dans cette pandémie, notre esprit critique nous a-t-il fait défaut ? » ; Réponse : « Aujourd’hui, on fait l’éloge de l’esprit critique mais on se trompe sur le sens du terme. L’esprit critique, c’est penser contre soi (sic). C’est soumettre son cerveau à des arguments qui viennent bousculer ses croyances, ses intuitions, son ressenti. Une fois qu’on l’a bousculé, on voit ce qui reste. J’aime bien l’expression « se forger une opinion ». Ce n’est pas la même chose qu’exprimer un avis. Or, aujourd’hui, l’esprit critique, c’est critiquer ce que disent les autres. Tout ce à quoi on est invité, c’est à penser avec son cerveau, et on va dès lors retrouver la communauté des gens qui pensent comme nous. Certes, notre cerveau ne sera jamais mal à l’aise mais il n’aura aucune jouissance (sic), sauf celle d’être conforté dans ce qu’il sait déjà. Internet nous met dans des silos avec des gens d’accord avec nous. C’est exactement le contraire de faire société. On est en train de fabriquer un communautarisme de la vérité et il n’y a plus de lien social. Mais une République, c’est un lieu où l’on doit souffrir intellectuellement. Il y a une forme de rationalité à refonder. »

           

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