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9 juillet 2019 2 09 /07 /juillet /2019 09:42

Un début de démystification

            ‘Lost in Maths’, ‘Perdus en Maths’ : Comment la beauté égare la physique, de Sabine Hossenfelder, est enfin publié en français, 18 mois après sa publication en anglais. Dès le début de sa parution, le livre a acquis une certaine notoriété parce que disons-le : « Franchement l’auteure mettait les pieds dans le plat. » (Voir article : « La vérité laide » du 20/03/2018). La démystification est une très bonne chose, elle est nécessaire pour que les scientifiques réfléchissent sur leurs pratiques, leurs croyances, leurs illusions, et comprennent collectivement ce qui les a conduits dans une impasse et cela dure depuis plus de 30 ans[1]. Ayant, à plusieurs occasions dans mon blog, écrit des articles dénonçant des dérives inquiétantes concrètes sur des sujets de physique, je ne peux que vous conseiller de lire ce livre édité aux ‘Belles lettres’. Une des critiques principales développée par l’auteure concerne la croyance que les mathématiques sont obligatoirement des révélateurs de vérités scientifiques alors qu’elle en a une conception bien plus pragmatique, page 20 : « En physique, les théories sont faites de maths. Nous ne nous servons pas des maths parce que nous tenons tant que ça à effrayer les gens qui ne connaissent pas la géométrie différentielle et les algèbres de Lie graduées. Non, nous nous en servons parce que nous sommes des idiots. Les maths nous obligent à rester honnêtes – elles nous empêchent de nous mentir, à nous-mêmes et aux autres. Avec les maths, on peut se tromper, mais on ne peut pas mentir. » ; page 22 : « Si elles nous contraignent à rester honnêtes, elles sont aussi la terminologie la plus économique et la moins ambiguë que nous connaissions. Le langage est malléable ; il dépend du contexte et de l’interprétation. Les maths, elles, ne s’embarrassent ni de la culture ni de l’Histoire. Quand mille personnes lisent un livre, chacune lit un livre différent. Alors que quand mille personnes lisent une équation, cette dernière est la même pour tous. »

            Ce qui est original dans ce livre c’est la tentative d’expliquer le mode de fonctionnement de la communauté scientifique et de répertorier les multiples biais qui sont en jeu dans cette communauté qui sont autant de freins voire d’obstacles à l’émergence de l’esprit critique si nécessaire à la production scientifique :

            Vénérer la beauté et vouloir s’adapter sont deux traits humains. Mais ils faussent notre objectivité. Ce sont des biais cognitifs qui empêchent la science de fonctionner de façon optimale, et pour l’heure, personne ne les prend en considération. Ce ne sont pas les seuls biais dont les théoriciens sont affligés. Le biais de désirabilité sociale est un effet secondaire de notre besoin de nous intégrer au sein d’un groupe afin de survivre. Cela conduit à émettre des opinions dont en pense qu’elles seront bien accueillies.

            « Mais la science est affectée par d’autres biais sociaux et cognitifs dont nous ne sommes pas aussi familiers. Le raisonnement motivé en est un. Il nous fait croire que les résultats positifs sont plus probables qu’en réalité. Vous vous souvenez d’avoir entendu dire que le LHC allait probablement découvrir des preuves d’une physique allant au-delà du modèle standard ? Que ces expériences allaient sans doute trouver des preuves de l’existence de la matière noire d’ici un ou deux ans ? Ah, on continue à le dire ? »

            Il y a aussi des coûts irrécupérables, autrement les investissements en pure perte. Plus vous avez consacré d’efforts et de temps à la supersymétrie, moins vous serez disposé à renoncer, même si les chances semblent être de plus en plus contre vous. Nous continuons à faire ce que nous avons fait longtemps après que les projets ont cessé d’être prometteurs (sic). » ; « Le biais endogène nous fait croire que les chercheurs dans notre domaine sont plus intelligents que les autres… » ; « Le renforcement communautaire peut transformer les communautés scientifiques en chambres d’écho où les chercheurs se renvoient inlassablement leurs arguments, se rassurant constamment sur le bien-fondé de ce qu’ils sont en train de faire. » ; « Et il y a le pire biais de tous, celui qui consiste à affirmer avec insistance que nous n’avons pas de biais du tout. C’est la raison pour laquelle mes collègues se contentent de rire (sic) quand je leur dis que les biais posent problème et rejettent mes « arguments sociaux », convaincus qu’ils n’ont pas d’impact sur le discours scientifique. » ; « Nous ne sommes pas capables d’abandonner des orientations de recherche qui se révèlent stériles ; nous avons du mal à intégrer de nouvelles informations ; nous ne critiquons pas nos collègues parce que nous avons peur de devenir « socialement indésirables ». « Nous méprisons les idées qui sortent des sentiers battus parce qu’elles viennent de gens qui ne sont pas comme nous. Nous jouons le jeu dans un système qui empiète sur notre indépendance intellectuelle parce que c’est ce que tout le monde fait. Et nous affirmons que notre comportement est valide sur le plan scientifique, qu’il ne repose que sur un jugement impartial, car il est impensable que nous soyons influencés par des effets sociaux et psychologiques, si avérés soient-ils. »

            Je cite abondamment l’auteure parce qu’elle est parfaitement intégrée dans son milieu et elle a donc une connaissance complète de ses travers qui, selon mon expérience, ne sont pas nouveaux mais n’étaient pas évocables lorsque la production scientifique était encore satisfaisante. En bonne partie S. Hossenfelder rend compte des raisons pour lesquelles les physiciens sont incapables, aujourd’hui depuis plus de 30 années, de penser à de nouveaux concepts, à de nouveaux paradigmes, p 279 : « Nous n’avons pas su préserver notre capacité à émettre des jugements impartiaux. Nous nous sommes laissés acculer dans une impasse, et maintenant, nous devons mentir[2] (sic) quotidiennement pour seulement dire de pouvoir continuer à travailler. Le fait que nous acceptions cette situation est un échec pour toute la communauté scientifique et c’est à nous qu’il revient de remettre les choses à plat. »

            Dans le livre est rapporté plusieurs interviews de scientifiques notables réalisés par l’auteure. Je retiens particulièrement celui qui fait parler George Ellis, professeur émérite à l’université du Cap qui est une figure de proue de la Cosmologie :

            « Ce qui m’inquiète, dit G. Ellis, c’est qu’aujourd’hui des physiciens disent que nous n’avons pas besoin de tester leurs idées parce qu’elles sont si merveilleuses, ils disent – explicitement ou implicitement – qu’ils veulent contourner l’obligation de tester les théories. De mon point de vue, c’est un retour en arrière d’un millier d’années. » ; « Lorsque l’on jette un coup d’œil sur le livre sur les multivers du théoricien des cordes de Columbia : Brian Green, on découvre qu’il y a neuf multivers. Neuf ! Et les arguments sur lesquels il s’appuie sont sur une pente savonneuse. Donc, d’un côté, vous avez Martin Rees qui dit que l’univers ne s’arrête pas à notre horizon visuel, et donc, en un sens, c’est un multivers. Et je suis évidemment d’accord. Et un peu plus loin, vous avez l’inflation chaotique d’Andreï Linde, avec son nombre infini d’univers-bulles. Et encore plus loin, par là-bas, vous avez le paysage de la théorie des cordes, où la physique est différente dans chaque bulle. Et encore plus loin, vous tombez sur le multivers mathématique de Tegmark. Et après, très loin là-bas, vous trouvez des gens comme Nick Bostrom qui affirment que nous vivons dans une simulation sur ordinateur. Ce n’est même pas de la pseudoscience, c’est de la fiction. »

            Je souligne particulièrement le point de vue de M. Rees qui indique que nous devons avoir une conception dynamique de l’évolution de notre compréhension de l’Univers comme je le souligne dans l’expression suivante : « Au sein d’une éternité, parmi tous les possibles, Anthrôpos ne cesse de creuser sa connaissance de l’univers. » Oui on peut évoquer l’hypothèse d’un multivers à propos de notre univers parce que le déploiement de notre connaissance de celui-ci permettra d’associer des pans entiers de ce que l’on peut supposer être actuellement dans un autre ‘univers filial’ mais qui est présentement le fait de notre ignorance encore provisoire. Nous devons accepter aussi l’idée que d’autres lois physiques, que celles présentement établies, émergeront peut-être naturellement, par exemple le déplacement à des vitesses supérieures à celle de la lumière. Bref, creusons l’idée que nous sommes dans un univers non borné et non clos. Nous ne devons pas attribuer des limites spatio-temporelles théoriques à notre univers et acceptons l’idée que ces limites que nous lui attribuons ne sont rien d’autres que celles provisoires de notre capacité d’investissement intellectuel. Il est, à mon sens, impossible d’établir une cohérence entre un univers qui serait effectivement borné avec une humanité que nous représentons qui viendrait intellectuellement se cogner sur des obstacles qui signaleraient qu’à partir de là : il n’y a pas d’au-delà. Si tel était le cas l’être humain ne pourrait plus être, il se pétrifierait. Avec notre cosmogonie actuelle, la thèse du Big Bang constitue un des notables obstacles.

            Dans la continuation de l’interview de G. Ellis, je veux isoler cette appréhension suivante : « Pour moi, le fait que le CERN ait passé les dix dernières années à effacer des données qui détiennent la clé d’une nouvelle physique fondamentale, c’est ça, le scénario de cauchemar. » Cette redoutable appréhension s’explique parce qu’au LHC parmi les milliards de collision proton-proton en quelques secondes seuls quelques centaines d’événements sont sélectionnés par un algorithme car censés être significatifs dans le cadre des connaissances et des projections actuelles. Il est à craindre que parmi les événements effacés il y ait de la physique non encore appréhendée qui serait une illustration de ce qui appartient à l’environnement de ‘parmi tous les possibles’ que j’ai évoqués précédemment. On a aussi, avec Ellis, l’expression d’une parfaite illustration qu’il faut que notre pensée soit préalablement bien placée pour exploiter valablement les données qui caractérisent des événements. C’est pour cette raison que la course à la puissance des instruments en se disant « on verra après », est absurde, onéreuse et source de méprises. Pour découvrir ce qu’il y a de caché dans une grotte, il faut en premier lieu fabriquer la torche appropriée, n’est-ce pas !

            Je reprends le fil du dialogue avec G. Ellis, à propos du multivers, p 259 :

            « Je ne suis pas contre le multivers. Je suis simplement contre l’idée que l’on puisse soutenir que c’est une science établie. Si les gens disent ça, ils veulent se défaire des exigences de l’expérimentation. Le raisonnement qui les a menés à la proposition du multivers était sain. Mais maintenant, ils ont tant d’étapes à franchir pour y parvenir, qui les éloignent de la physique bien établie. Chaque étape à l’air d’être une bonne idée, mais ce sont toutes des extrapolations non vérifiées de la physique connue. Autrefois (sic), on avançait une hypothèse, on vérifiait cette étape, puis on avançait une autre hypothèse et on la vérifiait, et ainsi de suite. Sans le retour à la réalité de l’expérience, on risque de s’engager dans la mauvaise voie. »

             S. Hossenfelder : « Mais c’est parce que les contrôles expérimentaux sont si difficiles. Et ensuite, que faire pour avancer ? »

            G. Ellis : « Je pense qu’il faut repartir et redémarrer avec quelques principes de base. Il y a une chose que nous devons repenser, ce sont les fondations de la mécanique quantique, parce que derrière tout ça, il y a le problème de la mesure de la mécanique quantique. Quand est-ce qu’une mesure est vraiment effectuée ? Quand, disons, un photon est émis ou absorbé. Et comment le décrire ? On utilise la théorie quantique des champs. Mais si vous prenez n’importe quel livre sur la théorie quantique des champs, vous ne trouverez rien sur le problème de la mesure. » Voir mon article, ‘Qui se permettra de le dire !’

            S. Hossenfelder : Je hoche la tête. « Ils se contentent de calculer les probabilités, mais ne discutent jamais de la manière dont les probabilités deviennent des résultats de mesure. »

            « Oui. Donc, il nous faut revenir en arrière et repenser le problème de la mesure. »

            Avec cet échange on constate que nous sommes loin de penser quantique. On constate aussi que la théorie quantique des champs est une source de problèmes et il est étonnant que ce soit maintenant, une fois que nous sommes au pied du mur, que des physiciens, qui ont fait leurs preuves, interrogent seulement maintenant la valeur de la prédiction théorique de la TQC. Les questions que posent G. Ellis sont par rapport à des intervalles du temps : « Quand est-ce qu’une mesure … » ; « Quand un photon est émis ou absorbé ? ». J’ai déjà proposé une réponse à ces questions et celle-ci se nomme ‘Temps propre du Sujet (de l’observateur)’ : τs soit de l’ordre de 10-26s. L’instantanéité d’une mesure ne peut pas être évaluée car l’action et les contraintes de l’observateur ne peuvent être ignorées et c’est ce qui caractérise la mécanique quantique. Donc aux questions de Ellis, je réponds de l’ordre de 10-26s.

            Comme je l’ai proposé dans plusieurs articles on franchira une étape décisive pour la compréhension de la mécanique quantique lorsqu’on établira expérimentalement que le temps est un propre de l’homme. Voir articles : ‘Appel d’offres’ du 5/08/2017 ; ‘Votre, Notre, Cerveau est une Machine du Temps’ du 29/07/2017.

            Tout récemment encore dans le Newscientist du 3 juillet, il y a un article au titre suivant : ‘Le paradoxe du temps : Comment votre cerveau crée la quatrième dimension.’ Article rappelant une expérience de 1981, indiquant que l’espace et le temps sont ensemble unis dans le cerveau comme ils le sont dans l’univers.

            Je ne compte plus, depuis plus de 15 ans les articles qui sont publiés sur ce sujet mais aucune hypothèse concernant une relation entre ce temps fabriqué par l’être humain et celui que l’on exploite en physique n’est considérée comme acceptable par les physiciens car cela détruirait leur croyance, ipso-facto, que leur science touche à l’universel et est le fruit de l’objectivité.

           

 

 

 

[1] Voir article du blog du 08/11/2011 : ‘Qui se permettra de le dire ?’, je me réjouis donc que ce soit quelqu’un parfaitement intégré présentement et reconnu dans le sérail qui se permette de le dire. Ouf, il était temps !

[2] Voir articles : « Et si notre pensée était mal placée » du 16/01/2016 ; « Perspectives » du 26/02/2017.

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