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24 octobre 2018 3 24 /10 /octobre /2018 09:51

Naturellement !

J’avais gardé en réserve l’annonce suivante : « Le code neural du temps », d’un article de ‘La Recherche’ du mois d’octobre avec l’espoir de pouvoir l’insérer dans un contexte plus général et cela est maintenant possible en associant plusieurs articles qui traitent de l’idée que nous nous faisons actuellement de la Nature que ce soit dans le cadre de notre dépendance ou de notre indépendance globale à l’égard de celle-ci.

Dans l’article, le code neural du temps, page 26, une équipe de neuroscientifiques (prix Nobel 2014) a identifié le circuit cérébral qui nous permet d’associer une temporalité aux événements et de les ordonner chronologiquement. Ce circuit est logé dans le cortex entorhinal latéral (lateral entorhinal cortex, LEC), une structure cérébrale profonde et l’une des portes d’entrée de l’information neuronale vers l’hippocampe, siège de la formation des souvenirs. « Le temps n’est pas encodé de manière explicite par ces neurones, comme une horloge qui décompterait les secondes, mais plutôt de manière indirecte, à travers le flot d’événements que l’on vit en permanence et qui change perpétuellement ». Ce « temps épisodique » défini comme la quantité d’éléments qui diffère d’une expérience à l’autre, conditionnerait directement notre perception du temps. Par ailleurs, le LEC est voisin du cortex entorhinal médian où ont été découvert les « cellules de grilles » permettant de se repérer dans l’espace (voir article du 26/07/2017 : « Le cerveau est capable d’encoder sa propre position dans l’espace. ») Les auteurs pensent que ces deux structures transmettent des informations relatives au temps et à la position vers l’hippocampe, où elles seraient intégrées sous la forme d’une « représentation unifiée du quoi, où et quand ». C’est-à-dire un souvenir. Voir[1] conception de l’espace et du temps selon Leibniz (1646-1716).

Est-ce que ces deux découvertes réalisées en deux temps avec l’unification par l’hippocampe m’autorise à considérer que je rencontre une sorte de confirmation neuroscientifique de mon hypothèse que l’espace-temps est un propre de l’homme (voir, entre autres, articles du 14/06/2013 et du 05/08/2017) ? Si cela ne peut pas être considérée comme une confirmation absolue, il y a une convergence très intéressante qui mérite d’être prise en compte. Est-ce que cet espace-temps unifié au sein de notre hippocampe se confond avec celui que les physiciens conçoivent ? C’est mon hypothèse, et c’est ce que j’appelle une détermination de l’être humain (voir article du 21/07/2015[2]). C’est une affirmation redoutable parce que cela signifie que l’espace-temps usité par les physiciens n’est pas le fruit d’une libre cogitation intellectuelle mais résulte d’un processus neuronal qui fait ce que nous sommes, qui s’impose par notre nature biologique, et qui fait que nous sommes un être vivant façonné par la nature et émergeant de cette nature. Selon mon hypothèse l’être façonné par la nature c’est l’être de la nature et l’être émergeant de cette nature est l’être dans la nature, c’est-à-dire celui qui progressivement se place en surplomb de la nature. Et ces deux êtres cohabitent en nous. Enfin n’oublions pas qu’unanimement les physiciens reconnaissent que la cause principale de la crise de la physique théorique qui sévit depuis plusieurs décennies est notre conception inappropriée de l’espace-temps. Mon article du 05/08/2018 : ‘Appel d’Offres’ vise à découvrir, reconnaître, cette détermination et non pas à l’éradiquer puisque cela est impossible. Mais cela deviendrait un savoir essentiel qui par exemple nous permettrait de comprendre le phénomène de l’intrication.

Il y a deux autres versions pour rendre compte du temps, l’une est de Lee Smolin, pour lui le temps est donné dans la nature, voir son livre : ‘La renaissance du temps’, l’autre est de C. Rovelli, pour lui le temps n’existe pas réellement. Mais je considère que cette dernière déclaration est inappropriée car personne ne peut dire ce qu’est la réalité sans la ‘Présence’ de l’être cogitant que nous sommes. Il n’y a pas de description d’un monde physique sans qu’il y ait un énoncé à ce sujet. Affirmer que la réalité est ce qui reste permanent lorsque le sujet pensant se retire est une ambition absurde. Cela peut faire du bien aux physiciens et aux mathématiciens et leur donner de l’énergie depuis plusieurs siècles mais les raisons de l’impasse dans laquelle se trouve la physique théorique aujourd’hui s’explique à cause de la persistance de cette croyance. Voir ce que dit M. Bitbol dans l’article précédent : « Si le scientifique ne peut se représenter le réel, c’est qu’il ne peut s’en distancier parce qu’il y est lui-même impliqué. Tout ce qu’il peut faire dans ces conditions est d’élaborer des règles pour se mouvoir dans le réel et y survivre. » ; « Le concept même de « réalité extérieure » est éminemment métaphysique, car aucune théorie scientifique ne peut être assurée de la décrire… »    

Maintenant, je reviens sur quelques articles du N° hors-série de la Recherche (octobre-novembre) qui a été l’objet de l’article précédent. Présentement, je propose d’analyser en partie la théorie qui donne une importance de premier ordre à la nature sans émergence et il n’y aurait qu’entrelacement et superposition de tous les vivants pliés les uns sur les autres. Il n’y aurait donc que des êtres de la nature !

L’article page 36 : ‘LA TERRE EST-ELLE UN RESEAU ANIMÉ ORIGINAL ?’ :

« Un ensemble de boucles de rétroaction en perpétuel mouvement, voilà comment James Lovelock a décrit le système Terre dans les années 197O. Pour le sociologue et philosophe Bruno Latour : cette vision de Gaïa est plus que jamais d'actualité. »

Question : Vous êtes un ardent défenseur de l'hypothèse Gaïa. De quoi s'agit-il ?

Bruno Latour : « C'est une façon originale de définir les vivants dans leur relation à la Terre. Elle consiste à considérer la Terre comme un ensemble d'êtres vivants et de matière qui se sont fabriqués mutuellement en suivant des cycles géochimiques. Autrement dit, les organismes vivants ne sont pas en résidence sur la Terre, mais ils en constituent l'environnement : l‘atmosphère, les sols, les océans, etc…, sont façonnés par eux. C’est donc une extension de la notion, déjà présente chez Charles Darwin, que les vivants sont eux-mêmes les ingénieurs de leur propre monde sans avoir besoin pour cela d'être guidés par une intention. Tous les organismes vivants sont impliqués dans ce processus, mais ce sont les bactéries qui ont fait le gros du travail de transformation de l'atmosphère et de la géologie terrestres depuis 3,7 milliards d'années. Puis il y a eu les plantes, les animaux et, pendant une courte période seulement, 2,5 millions d'années, les humains. »

On constate en prenant contact avec cette hypothèse, que d’ailleurs je ne connaissais pas, qu’il n’y a pas d’être dans la nature qui soit pensé. L’affirmation : que les vivants sont eux-mêmes les ingénieurs de leur propre monde sans avoir besoin pour cela d’être guidés par une intention, est étonnante car cela exclut le processus de survie, de reproduction. A mon sens être ingénieur et être sans intention est difficile à concilier.

C’est le chimiste britannique James Lovelock qui est à l’origine de cette hypothèse en 1965. J’évoque cet article parce que, bien qu’il soit à mon sens extrême, il propose de réattribuer un rôle à la nature en réduisant l’opposition entre nature et culture ce qui est souhaitable parce que la scission n’existe pas, il y a toujours cohabitation.

A la question : « Est-ce que le mot nature a encore un sens avec Gaïa ? »

B. Latour nous dit : « L’une des malédictions qui ont pesé contre la théorie, c'est le schéma philosophique d'opposition entre nature et culture, qui s'est installé depuis Galilée et René Descartes dans nos sociétés modernes. Avec Gaïa, l'avantage est que l'on n’a plus besoin d'opposer les sociétés humaines et la nature : tous les organismes vivants font partie du même biofilm, une couche à l'intérieur de l'atmosphère, une zone critique, et jusqu'ici Ia seule, où il y a des vivants à l’intérieur d'autres vivants. Aucun organisme vivant n’obéit à un ordre supérieur auquel il devrait s'adapter. Ils sont tous entrelacés. On n'a plus besoin d'une philosophie de Ia nature pour comprendre Gaïa. »

Je suis convaincu que la problématique de l’opposition entre nature et culture ou du dualisme entre nature et culture n’est pas une problématique qui concerne uniquement les philosophes mais elle doit interpeller les physiciens. Il faut réfléchir à la question d’où est-ce que l’on investit la nature pour découvrir ses propriétés. M. Bitbol et A. Barrau que j’ai cité dans l’article précédent ne nient pas le bien-fondé de ce questionnement et c’est ce qui fait la richesse de leur entretien respectif.

Je vous invite à lire l’article de Bruno Latour dans sa totalité mais il me semble que celui correspondant à l’entretien de Philippe Descola page 68 est vraiment très instructif. Dans cet article : ‘Le dualisme entre nature et culture est-il réel ?’ ; « L’opposition entre nature et culture imprègne nos modes de pensée. Elle implique une vision du monde que Ph. Descola (professeur au Collège de France) a tenté de questionner en élaborant une nouvelle théorie qui fait tomber les barrières de notre ethnocentrisme. » Pour donner une idée de l’intérêt que nous devons développer sur ce type de sujet puisqu’il nous concerne pleinement, je vous cite la réponse de Descola (page 73) à la dernière question : « Finalement, votre lecture critique de notre cosmologie moderne pourrait-elle aller jusqu’à remettre en cause nos lois scientifiques ? » :

« Absolument pas. Dire que notre interprétation moderne du monde nous est propre et relève d’une démarche très ethnocentriste ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de loi universelle de la physique ou de la biologie. Il est même possible, comme le pense le philosophe Merleau-Ponty, que la cosmologie moderne ait été nécessaire pour permettre les avancées scientifiques. Ce que je remets en cause, ce n’est pas du tout la légitimité de la science, c’est la séparation épistémologique entre sciences de la nature et de la culture (sic). »

Evidemment, il ne faut pas croire que l’auteur évoque le concept de loi universelle en faisant référence à celle que nous déclarons comme telle, comme par exemple la loi de la gravitation. Non ! il dit qu’il considère que l’hypothèse de l’existence de loi universelle qui régit intrinsèquement la nature ne doit pas être rejetée en tous les cas elle peut être utile sur le plan opérationnel et elle focalise et anime favorablement la pensée scientifique.

Descola est lucide sur la portée effective de sa démarche car à l’avant dernière question : « Le fait d’aller à la rencontre de ces autres modes d’identification peut-il nous aider à les comprendre ? », il répond :

« Cela aide à jeter le trouble dans notre propre perception, mais cela ne nous permet pas d’y adhérer. Nos modes d’identification sont si puissants qu’on ne peut s’en détacher. Tout en éprouvant une grande admiration pour les Achuars[3], je n’ai jamais pu penser que les animaux sont des personnes comme moi, parce que le naturalisme[4] est si profondément imbriqué en moi que cela ne m’est pas possible d’expérimenter l’animisme. »

 

P.S. Je souhaite enrichir d’une donnée supplémentaire récente l’article du 23/06/2018 : ‘Cela s’allume plus tôt que prévu’. En effet il a été découvert le plus vaste proto-superamas de galaxies (annonce le 19/10), structure colossale au sein de l'Univers jeune. Ce proto-superamas de galaxies - baptisé Hyperion - a été mis au jour et il s'agit de la structure la plus étendue et la plus massive découverte à ce jour à si grande distance et datant d'une époque si reculée - seulement 2,3 milliards d'années après le Big Bang. C’est la plus vaste et la plus massive découverte à ce jour dans l'Univers primitif. L'énorme masse du proto-superamas est estimée à plus d'un million de milliards de fois la masse du Soleil (rappelons que la Voie Lactée pèse de l’ordre de quelques centaines de milliards de mase solaire.) Cette masse colossale est semblable à celle des structures les plus étendues de l'Univers contemporain. L'existence d'un objet si massif dans l'Univers jeune est très surprenante. ‘Normalement, ce type de structure se rencontre à des redshifts moindres, correspondant à des stades plus avancés dans la formation de l'Univers.’

 

[1] Selon lui, l'espace et le temps ne sont pas des choses dans lesquelles se situent les objets, mais un système de relations entre ces objets. L'espace et le temps sont des « êtres de raison », c'est-à-dire des abstractions à partir des relations entre objets

[2] Le paléoanthropologue Jean Guilaine m’a précisé à l’occasion d’un échange de correspondance : « Il me semble en effet que l’intégration psychique espace-temps chez l’homme (voire ses progrès) doit être abordée au départ, c’est-à-dire au temps de l’hominisation, voire au Paléolithique inférieur… »

[3] Achuars : Dans les années 1970, l’auteur a étudié le mode de vie des indiens Jivaros (ou Achuars) d’Amazonie et leur rapport à leur environnement.

[4]Selon Ph. Descola : « Avec le naturalisme, nous considérons qu’il y a des discontinuités dans les intériorités entre l’homme – qui seul a une âme, une intentionnalité (contraire au discours ci-dessus de B. Latour) et des capacités pour l’exprimer – et tout ce qui lui est extérieur. Autrement dit, le monde des non-humains relève de la nature parce qu’il n’a pas d’intériorité. Il est vrai que cela est un peu battu en brèche avec les travaux chez les grands singes. Mais c’est seulement un déplacement de frontière vers l’espèce la plus proche, pas un changement de principe. En revanche, pour ce qui concerne les physicalités nous admettons depuis Ch. Darwin… »

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