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5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 09:15

Matières à réflexion.

Les grands courants philosophiques occidentaux, qui ont précédé le XXIe siècle commençant, peuvent être caractérisés, entre autres, par Martin Heidegger qui situe la question de l’Être au cœur de sa réflexion, par Max Scheler qui privilégie la question de l’Homme dans le monde, la question de l’existence qui fut le sujet central de Karl Jaspers, la question de la connaissance pour les néokantiens, et encore la question du phénomène pour Edmund Husserl…

Aujourd’hui, il y aurait suffisamment de connaissances fiables et réunies pour rendre compte du phénomène de l’émergence de l’être humain dans le monde avec ses facultés et ses compétences, avec, par contre, une contribution du champ de la pensée hautement philosophique pour étayer ce processus de plus en plus réduite.

Ainsi, il vient d’être publié le livre (Seuil) : ‘Aux origines de la société humaine’ de Bernard Chapais, professeur d’anthropologie à l’université de Montréal. Chapais a entrepris un programme de recherche interdisciplinaire sur l’évolution de la socialité humaine, alliant biologie, psychologie et anthropologie socioculturelle. Selon lui, nous partageons certains comportements sociaux avec les sociétés primates. Mais nous possédons aussi quelques traits spécifiques : système de reproduction fondé sur la monogamie, parenté dans les rapports sociaux et force des liens entre groupes. Ces phénomènes ont des fondements biologiques et définissent la structure profonde des sociétés humaines[1]. La structure profonde de la société humaine se révèle être un amalgame original de traits ayant différentes origines, le fait qu’elle soit décomposable en éléments qui ont une histoire évolutive et des bases biologiques indique qu’elle est inscrite dans la nature humaine (être de la nature) – et non une création culturelle (symptôme de l’être dans la nature). Son avènement coïncide avec la véritable naissance de la société humaine.

B. Chapuis affirme un point de vue qui me met en éveil : « Il ne s’agit pas de substituer des explications biologiques aux explications culturelles mais s’assurer que les deux ensembles sont compatibles et concordants, et de chercher à corriger et enrichir les théories en conséquence. La congruence interdisciplinaire est un principe fondamental de la méthode scientifique. »

Après l’étude de l’émergence de la société humaine, faisons un zoom en nous référant au livre qui a pour titre : ‘Le Règne du langage’ (éditeur, R. Laffont ; auteur T. Wolfe), pour rendre compte de l’émergence de l’Homme. Quelle est « la particularité des particularités » humaines ? selon l’auteur, il s’agit du langage. Le livre tente de rendre compte des tentatives successives pour expliquer les origines de cette caractéristique fondamentale de l’espèce humaine.

Plus concrètement, à partir du 8/01/2018, Stanislas Dehaene nous promet un cours hebdomadaire au Collège de France : « Origines du langage et singularité de l’espèce humaine » et c’est avec l’appui des neurosciences que Dehaene va nous expliquer par quel processus évolutif de notre cerveau l’acquisition du langage a été engendrée.  

Voyons déjà ce qu’il annonce en préambule dans un article dans la Recherche de Octobre 2017 : « Notre objectif est de décrypter le code neural du langage » ; avec son équipe, il étudie les mécanismes cérébraux à l’origine de nos capacités cognitives de haut niveau, comme les mathématiques et le langage. Ces capacités sont sous-tendues par une aptitude propre au cerveau humain : celle d’assembler des symboles pour former des représentations mentales d’ordre supérieur. Cette compétence combinatoire, sélectionnée au fil de l’évolution, ferait de l’homme une espèce si singulière.

Il se demande : « …si la capacité de représentation symbolique et récursive n’est pas apparue, dans un premier temps, indépendamment du langage, avant tout comme un système de représentation rationnelle du monde. Le cerveau d’Homo erectus (environ 2000 000 d’années) avait peut-être déjà atteint la compétence d’une machine de Turing universelle, capable de représenter toutes les structures logiques ou mathématiques possibles. Peut-être est-ce une illusion, mais pour l’instant notre espèce a réussi à comprendre l’organisation des structures du monde à toutes les échelles de l’Univers (sic). Dans un deuxième temps, il y a environ 100 000 ans, on observe une explosion culturelle qui suggère un langage, une communication… On peut donc se demander s’il n’y a pas d’abord la mise en place d’un système de représentations mentales enchâssées, puis l’apparition d’une capacité à communiquer ces représentations. » et il ajoute : « …que c’est difficile à trancher sur le plan historique parce que, ni les langues, ni la musique, ni les mathématiques ne se fossilisent ! Cependant, notre génome et notre cerveau portent les traces de notre évolution. Je suis persuadé que, dans la prochaine décennie, les neurosciences combinées à une approche génétique apporteront des réponses solides à la question de l’origine des langages du cerveau. »

Des hypothèses formulées par S. Dehaene, certaines méritent d’être interrogées, notamment celle qui fait référence à : « un système (complet) de représentation rationnelle du monde. » que le cerveau d’Homo erectus aurait déjà intégré. Est-ce inhérent au cerveau de cet Homo, c’est-à-dire ce serait une caractéristique propre du cerveau de cet Homo, ou est-ce le fruit d’un apprentissage, qui s’engagerait spécifiquement avec cet Homo, en rapport avec la confrontation au rude monde dans lequel Homo erectus cherche à concevoir sa place ?

La thèse de l’apprentissage est celle que je retiens avec l’idée que le cerveau des Homos qui se sont succédés jusqu’à l’homme moderne a évolué et qu’il fut un facteur de sélection. Globalement l’évolution de notre cerveau est continue et c’est, entre autres, grâce à l’intégration-compréhension des lois physiques de ce monde auquel fait référence Dehaene que cette continuité est garantie. Enfin, je constate avec intérêt que Dehaene prévoit à l’avance : « qu’il faudra les neurosciences combinées à une approche génétique pour apporte des réponses solides à la question de l’origine des langages du cerveau. »

En ce qui concerne l’émergence du langage, il y a eu de très bonnes publications qui indiquent que cette émergence est corrélée avec la pratique et l’aptitude progressives de la taille des silex dès le Paléolithique, à partir d’Homo erectus ou Homo ergaster.

Dans la suite de cet article nous continuons de réfléchir à l’essor de l’intelligence et du langage humains et de l’exceptionnel degré de la socialisation des individus avec Antonio Damasio (professeur de neurosciences, neurologie et psychologie, il dirige l’institut du cerveau et de la créativité de l’université de Caroline du Sud), à l’occasion de la publication de son livre : ‘L’ordre étrange des choses, la vie, les sentiments et la fabrique de la culture’ (édit. O. Jacob).

Antonio Damasio nous propose de faire une plongée dans les profondeurs du temps biologique pour penser aux origines de cet essor. Je cite : « En observant les bactéries (formes de vie apparues il y a, à peu près, 3.5 milliards d’années) ça a été une révélation pour moi, de constater qu’il y a chez elles une complexité des comportements, une émotivité, des stratégies (sic). Certaines travaillent très dur, mais il y a des bactéries traitresses, il y en a qui rusent pour ne rien faire et profiter de ce que font les autres… C’est très beau, très étrange, parce qu’il n’y a aucune possibilité qu’il y ait une pensée chez elles. Chez les bactéries, il y a des comportements qui s’apparentent à nos comportements culturels (sic). »  

Evidemment, il est lucide, il sait qu’un ‘fossé’ sépare cette culture-là de la nôtre. Mais selon lui, « il y a entre les deux une continuité du désir – plus déclaré chez l’homme que dans les bactéries – de durer, d’avancer, poussé par une force originaire qui s’observe sous les microscopes autant que dans les sociétés humaines ». Personnellement je n’ai jamais pensé que l’être de la nature que je conçois en rapport avec l’être dans la nature pour rendre compte de la dynamique de conquête sans fin des lois physique de la nature, puisse avoir une explication originaire aussi profonde dans le temps. Sans être en mesure de partager, encore moins d’adhérer, à la thèse de A. Damasio, il est à coup sûr enrichissant de comprendre son cheminement intellectuel. Alors analysons ce qu’il propose : « Cette conception d’une culture purement intellectuelle me semble toutefois quelque fois limitée. Comme si l’intelligence créatrice s’était matérialisée sans élément déclencheur(sic) et avait simplement suivi le mouvement sans motivation sous-jacente, en dehors de la raison pure (la survie n’est pas un facteur de motivation recevable, dans la mesure où cet argument élimine les raisons expliquant pourquoi la survie est un sujet de préoccupation). Comme si la créativité ne faisait pas corps avec cet édifice complexe qu’est l’affect (sic). Comme si enfin la cognition avait pu à elle seule assurer la poursuite et la gestion du processus d’invention culturelle – sans que la perception de la valeur des événements vécus, bons ou mauvais, ait voix au chapitre. »

Or, contrairement à ce qu’affirme Damasio, les paléoanthropologues considèrent que la volonté de survie au sein de la nature hostile fut un facteur de la sélection de nos très lointains ancêtres, jusqu’à l’avènement d’Homo sapiens, et notamment les rudes changements climatiques sur la planète Terre contribuèrent à accélérer les phases de sélection. Il a fallu développer de l’intelligence pour concevoir des stratégies de survie dans ces nouvelles situations, décrypter qu’elles étaient ces propriétés de la nature qui mettaient en cause l’existence propre d’Homos. Cette thèse des paléoanthropologues me convient pour penser l’avènement et l’essor de la connaissance de la physique. Ainsi, les premiers pas d’une pensée consciente de l’espace et du temps, c’est-à-dire les premiers pas d’un processus de capture intellectuelle de l’espace-temps, se sont imposés à Homo ergaster (ou un autre, car on ne sait pas encore dater correctement) en vue de ‘calculer’ la durée du chemin à parcourir pour aller à la mine de silex et revenir se réfugier avant la nuit tombante dans la caverne habitée, pour ne pas être une proie exposée à ses prédateurs.

Je considère qu’il y a de quoi faire son miel avec l’ouvrage de A. Damasio, et il est utile d’être ouvert à son travail prospectif car il y a de sa part une part importante d’observations du comportement spontané des bactéries qui l’amène à exprimer une idée qui devrait mettre dans un état d’alerte positive les physiciens, je cite[2] : « Dans leur volonté non réfléchie de survivre, elles cherchent la compagnie d’alliées partageant leur but. Leurs réactions collectives face aux attaques de tous types suivent la même logique non réfléchie : le groupe cherche automatiquement à dominer par le nombre en adoptant l’équivalent du principe de moindre action (sic). Les bactéries respectent les impératifs homéostatiques[3] à la lettre. » Or le principe de moindre action a été intellectuellement capturé en 1744, par P.l. Moreau de Maupertuis en ces termes : « L'Action est proportionnelle au produit de la masse par la vitesse et par l'espace. Maintenant, voici ce principe, si sage, si digne de l'Être suprême : lorsqu'il arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d'Action employée pour ce changement est toujours la plus petite qu'il soit possible. » Il est le principe fondamental exploité par les physiciens depuis l’époque de sa formulation et il n’y aurait pas de physique quantique des champs ni de théorie des cordes sans l’utilisation de ce principe. Alors ?

Bon ! il y a de quoi être perplexe. In fine c’est une affaire de conviction et Damasio est guidé par une profonde conviction comme il le dit : « Les sentiments, en leur qualité d’adjoints de l’homéostasie, sont les catalyseurs des réactions qui ont permis l’émergence des cultures humaines. Est-ce là une formulation recevable ? Peut-on raisonnablement postuler que les sentiments ont motivé les inventions intellectuelles qui nous ont apporté : 1) les arts ; 2) la réflexion philosophique ; 3) les croyances religieuses ; 4) les règles morales ; 5) la justice ; 6) les systèmes de gouvernance politique et les institutions économiques ; 7) la technologie ; et 8) la science ? J’estime, avec la plus profonde conviction, que tel est le cas. »

Dans une bonne mesure tous les auteurs et ouvrages récents que j’ai évoqués dans le présent article sont partie prenante du fond théorique sur lequel je déploie mes hypothèses que je présente au fur et à mesure depuis 5 ans sur le blog et dans mon cours depuis 10 ans : « Faire de la physique en ‘Présence’ », il y a donc de ma part une invitation à les lire et… relire : Kant, Heidegger, Jaspers, Scheler, Husserl, etc.

 

[1] ‘La recherche’ décembre 2016

[2] Page 85, de ‘La Recherche’ décembre 2017.

[3] Homéostasie est un concept clé du parcours théorique de Damasio ainsi : « L’homéostasie est le fondement de la vie biologique et socioculturelle humaine. »

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